Compte rendu de l'audition des Sons Fédérés le 3 mars 2020 au ministère de la Culture
Nous, une délégation de six membres des Sons Fédérés, avons rencontré mardi 3 mars 2020 la rapportrice Nicole Phoyu-Yedid et le rapporteur François Hurard, de la mission pour le développement d’un fonds d’aide à la création et à l’innovation sonores au ministère de la Culture.
Présentation de la mission par la rapportrice et le rapporteur
Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard nous ont d’abord dressé un rapide tableau de leur mission concernant “la création d’un fonds de soutien à la création sonore, à destination de la radio et du podcast natif”. Cette mission se donne un triple objectif :
- dresser le tableau de “l’offre de la production audio-digitale” et documenter ce secteur, pour l’instant mal connu des institutions ;
- en étudier les aspects réglementaires, avec notamment deux problématiques immédiates : réglementer les relations entre éditeurs et agrégateurs et travailler autour des contributions aux caisses de gestion collective (questions des contrats avec la SACD et la Scam pour les droits d’auteur et droits voisins) ;
- créer un outil de soutien à la création sonore en se demandant pour qui, pour quel type de programme, avec quels moyens et quel “pilote”.
Jusqu’à présent, Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard nous disent avoir rencontré la Scam et des auteurs et autrices de la radio publique.
Il et elle souhaitent travailler particulièrement l’axe de l’analyse territoriale et de la décentralisation : quelles collectivités territoriales sont intéressées en région par la création d’un fonds de soutien, quel rôle de la DRAC pour soutenir et co-financer le fond de soutien ? Il et elle s’inspirent là de ce qui se fait déjà dans le cinéma et le livre.
Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard rendront leur rapport fin mars 2020.
Présentation des Sons Fédérés
Nous avons présenté les Sons Fédérés en disant à quel point est inédit en France ce regroupement de technicien·nes du son, d’auditrices·teurs, de réalisateur·trices, d’autrices·teurs, d’artisan·es du sonore, dans et hors monde radiophonique, émanant de radios nationales ou locales, de webradios, d’associations, de collectifs, de compagnies. Historiquement, le monde de la radio et du son s’est structuré en prés carrés. Notre assemblée tisse de nouveaux liens entre ces différents milieux, accueille quotidiennement de nouvelles personnes et construit une solidarité en actes.
Nous avons énoncé d’emblée notre colère partagée concernant l’appauvrissement des moyens des radios associatives et publiques, la logique de projet où elles sont enfermées par les institutions et l’omniprésence médiatique de nouveaux formats dominants. Nous avons tout autant parlé de l’énergie forte, de la détermination et des envies qui nous animent.
Nous sommes le podcast, la radio et bien d’autres choses encore
Nous avons déroulé notre conducteur pendant deux heures, en faisant circuler la parole et en conduisant la réunion à la manière d’une émission de radio. Nous avons évoqué régulièrement la grande variété de pratiques présentes au sein des Sons Fédérés et au-delà. Nous avons cité de multiples noms, de multiples structures, de multiples initiatives, pour donner à entendre de façon concrète la créativité et l’innovation sonores mais aussi sociales qui sont déjà à l’œuvre aujourd’hui et qui forment une constellation extrêmement riche, construite et entretenue au fil des décennies.
Nous sommes parti·es de l’historique, rappelant le Studio d’Essai mené par Pierre Schaeffer au sein de la RTF, comme espace de recherche et de création où la liberté des auteurs et autrices était essentielle, où s’expérimentait l’ambition d’un art radiophonique financé par l’État, menant aussi bien aux Ateliers de Création Radiophonique (ACR) qu’à la musique concrète, aux recherches anecdotiques, au field recording, etc. Nous avons rappelé que le podcast ne date pas de la naissance des studios de podcast industriel en 2015, qu’il est bien antérieur (des pionnier·es du web dès le milieu des années 1990, Arte Radio en 2002). Nous leur avons laissé en main propre les articles écrits à ce sujet par Juliette Volcler pour Syntone. Nous avons insisté sur le fait que le podcast ne représente pas en soi une esthétique, mais qu’il constitue un mode de diffusion, en interaction permanente avec d’autres modes de diffusion (l’hertzien, la scène, la nature...)
Nous avons beaucoup parlé des radios associatives, de leur inventivité, des échanges de programmes organisés ou informels, de l’expérimentation qui y demeure possible, de leur attention aux personnes qu’on n’entend pas ailleurs, de la formation permanente qui y a lieu, de leur importance dans le paysage sonore et radiophonique, du maillage territorial qu’elles créent, de leur rôle social essentiel.
Nous avons parlé des collectifs comme Le Bruitagène et Transmission, du travail de Pi-node, d’associations, d’écoutes publiques, de la création sonore dans les écoles d’art, des balades sonores, du mouvement art et science, des centres musicaux (Muse en Circuit / Reims / Albi / Saint-Nazaire), des autoproductions des radios associatives, des festivals de radio, des audioblogs. De l’importance du libre accès donné par Arte Radio ou Silence Radio pour la diffusion de leur programme en radios associatives par exemple. Des interactions permanentes entre la France et la Belgique.
Nous avons fait une ode sur la beauté et la diversité de la création sonore aujourd’hui et donc des expressions sonores. Des balades sonores au hörspiel, du field recording à la fiction, etc. Nous avons indiqué qu’un fonds ne saurait être dédié à une seule esthétique (l’intime aujourd’hui à la mode, comme le serait le stand up au théâtre). Nous avons défendu à quel point ce que nous créons est à la fois exigeant et populaire. Nous sommes la diversité de ce paysage sonore, avec toutes les formes variées qu’elle comprend, nous recevons des Prix internationaux, nous représentons l’exception culturelle à la française. Nous sommes le podcast, la radio et de multiples expressions sonores.
Nous avons insisté sur l’importance d’une politique d’expérimentation et du temps long, à rebours des formes faciles qui visent la simple rentabilité. Nous avons défendu la nécessité d’une culture de l’écoute. Nous avons souligné le rôle essentiel des radios comme moyen d’accéder collectivement à cette culture, pour toutes les générations et au-delà de la fracture numérique qui affecte l’usage des outils informatiques.
Nous sommes précaires et déterminé·es
Nous avons rappelé à quel point tous les auteurs et autrices sonores sont précaires. Qu’actuellement en France très peu d’entre elles et eux arrivent à vivre de leur art. Que la majorité d’entre nous sommes obligé·es de diversifier nos activités, d’avoir un mi‐temps dans d’autres secteurs d’activité ou de nous résoudre à une part de bénévolat non choisi, y compris dans un cadre professionnel, pour développer des œuvres ou des dispositifs d’écoute qui nous paraissent importants. Que des espaces considérables de travail rémunéré ont été tout simplement supprimés sur les antennes publiques.
À titre d’exemple, nous avons donné les chiffres du coût d’un documentaire radiophonique de sa conception à sa réalisation en passant par les étapes de repérage, tournage, commande musicale ou d’expression sonore, montage, soit environ 25 000 euros par documentaire en coût global tel qu’il peut être calculé par nos ami·es belges. Nous ajoutons ici que pour une fiction, ce montant minimal s’élève à 35 000 euros. Ceci, sans inclure l’étape de recherche, la plus longue mais qui de facto n’est jamais prise en compte économiquement, ce qui contraint de facto tou·te auteur·trice souhaitant financer correctement son travail à obtenir une bourse d’écriture de 5000 euros. Dans le meilleur des cas, l’auteur·trice n’atteint pas même l’équivalent d’un Smic pour son travail.
Parallèlement, entre 2011 et 2020, nous avons compté une disparition de quatre heures de documentaire par semaine uniquement sur France Culture. Cela signifie que pour cette seule chaîne, en envisageant une fourchette haute de 52 semaines multipliées par quatre heures par semaine, un budget public de 5 200 000 euros ne “ruisselait” plus dans le monde des auteur·rices de radio. Pour ne prendre qu’une fourchette basse de 40 semaines de productions inédites par an, cela représente une perte annuelle de quatre millions d’euros. Autant de droits d’auteurs·trices qui ne sont par ailleurs plus reversés et donc redistribués au tiers aux autres auteurs·trices, associations, festivals ou autres, par les sociétés de gestion des droits (Scam, Sacem, SACD, etc.).
Dans les espaces qui ont été maintenus, de nouveaux modes de production ont été mis en place, qui laissent peu de place à des auteurs·trices moins aguerries. Ainsi de La Série documentaire, qui impose de produire une série de quatre documentaires sur une thématique, et s’appuie donc sur un réseau d’auteurs·trices déjà identifié·es et reconnu·es. Le podcast natif, quant à lui, pourrait être un espace d’expérimentation et de découverte de nouveaux talents, mais, tout à sa fascination pour les modes de production dits efficaces des studios industriels, il ne joue guère ce rôle à l’heure actuelle sur les antennes publiques.
Des espaces de création radiophonique ont également disparu, au fil des quinze dernières années, sur le réseau France Bleu. Et, en 2019, les choix de France Musique en matière de création musicale, en plus d’une diminution du temps d’antenne, ont été une atteinte notoire aux répertoires mixtes, arts sonores et écritures musicales radiophiles, avec la disparition des émissions Tapage nocturne et Le Cri du patchwork, autant d’artistes à l’économie précaire qui ont perdu un terrain d’expression et des festivals fragilisés par la perte d’un soutien média national.
Nous affirmons donc nous inquiéter sur l’origine financière du fonds. Il ne s’agirait pas de déshabiller encore plus la radio publique pour habiller les auteurs·trices ou, encore moins, le podcast industriel. Nous insistons sur le fait que la radio publique comme le réseau associatif sont en danger et qu’il est impérieux d’entendre les motifs des 60 jours de grève qui viennent d’avoir lieu comme de l’expression d’une colère sociale grandissante. Par ailleurs, le podcast industriel n’a pas la mission de mailler le territoire ni de s’adresser à toutes et tous pour une redevance, une petite radio et des piles. Il ne serait donc pas possible de baser une politique publique de l’écoute sur un fonds qui pourrait servir à financer, au-delà des auteurs·trices, Spotify ou Apple, sans que tout un pan de la population (personnes âgées, éloignées du numérique ou dans des zones où le réseau Internet n’est pas stable) n’ait la moindre chance d’accéder à ces productions auditives.
Nous formons les oreilles de demain
Nous avons parlé de la pédagogie, de la transmission, du besoin de démocratiser l’accès à cette grande diversité. Nous avons indiqué que ce travail de fond est déjà mené par de nombreuses associations en France, des quartiers populaires aux campagnes, des jeunes aux plus ancien·nes (ateliers scolaires, transgénérationnels, etc.). Que les radios associatives se font le relais de ce travail.
Cependant, cet engagement est mis à mal par un manque de moyens, la fin des contrats aidés et des réformes récentes. Par exemple, que des structures à but non lucratif comme Faïdos Sonore ne pourront plus assurer pleinement le rôle de formation qu’elles développent depuis plusieurs années en raison d’une nouvelle certification favorisant les sociétés plus importantes.
Nous avons rappelé que le son et le micro ne sont pas simplement des moyens de produire des œuvres, que très fondamentalement ils permettent de tisser des liens sociaux, de se placer en position d’écoute, de donner à entendre des réalités autrement inaudibles, de permettre de créer un lien entre des personnes qui sinon ne se seraient jamais rencontrées. Le son, à nos oreilles, est primordial pour faire corps et faire société.
Le fonds de soutien idéal
Nous avons énoncé la vision idéale que nous avons de ce fonds. D’abord, qu’il se montre ambitieux. Ensuite, que le fléchage de l’argent aille bel et bien aux créateur·trices, auteurs·trices et non aux diffuseurs. Bien entendu, qu’il promeuve toutes les expressions sonores, protéiformes, dans et hors radio, et non des produits formatés. Enfin, que les auteurs·trices y soient décisionnaires (75% des sièges à la commission de sélection). Nous sommes par ailleurs revenu·es sur la question des contrats et droits d’auteurs, puisqu’actuellement les studios de podcast industriel ne paient pas de droits d’auteur, ce que nous réprouvons. Arte Radio, au contraire, s’est mise en règle il y a plusieurs années et se montre aujourd’hui réticente à travailler avec des diffuseurs qui ne s’y plient pas. Cela représente pour un tiers des droits qui seraient reversés aux auteurs·trices des expressions sonores protéiformes, via les société civiles (Scam, SACD, Sacem, etc.)
Nous nous sommes demandé·es d’où viendrait l’argent du fond et, excluant tout budget prélevé sur celui des antennes publiques, avons suggéré un impôt sur les Gafam, grands vainqueurs économiques de ce développement du podcast. François Hurard nous a indiqué que c’était une hypothèse envisagée. Nous rappellerons ici que la loi votée en juillet 2019 est pour le moment inopérante et qu’un impôt de type Gafam devrait permettre à la fois de lever de manière citoyenne et juste des fonds pour l’art, l’information et la culture en général, mais aussi que cela permettrait un regard démocratique des plateformes. Des propositions sur des modes de redistribution équitables ont été imaginés depuis plusieurs années.
Nous avons alerté sur une logique d’uberisation lié au projet d’aide. Ce fonds ne doit pas favoriser une externalisation des productions et une logique d’individualisation, mais au contraire offrir une passerelle vers des espaces de création stables. Nous avons mis en garde sur la fausse solution que constituent certains modes de production promus par le podcast industriel. Nous avons rappelé à plusieurs reprises que l’innovation sociale se situe du côté des associations, des collectifs, des compagnies et des multiples structures qui s’engagent pour des expressions sonores vivantes et diverses.
Nous avons insisté sur l’importance des choix de critères de sélection au sein de la commission dans le cadre des projets. L’expression sonore se bâtit avec du son, pas de l’écrit. La scénarisation du son, si elle peut être valable en fiction, ne l’est le plus souvent pas du tout dans le documentaire ou d’autres genres.
Alors que le rapporteur préférait parler de "création sonore” plutôt que de “création radiophonique” par souci de “documenter l’offre audio-digitale” et d’intégrer le podcast natif à sa réflexion, nous avons souligné que le podcast natif n’était pas la seule forme de “création sonore” extra-radio et n’était pas non plus la seule offre audio-digitale, en soulignant l’importance de défendre les initiatives en DAB+ (pour des raisons aussi bien écologiques que démocratiques).
Les conclusions de Nicole Phoyu‐Yedid et François Hurard
À la fin de l’entretien, Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard ont :
- indiqué être particulièrement intéressé·es par le travail sur la médiation et le rôle que les Drac pourraient jouer ;
- soutenu l’idée d’un fonds national et de fonds décentralisés en privilégiant des projets de proximité ;
- affirmé que le fonds s’adresserait aux auteurs·trices, mais possiblement accompagné·es par un studio ;
- développé une réflexion sur le mode de soutien industriel qui est un mode de financemment automatique alors que le financement de type artisique est soumis à d’autres critères ;
- affirmé penser les multiples pratiques dont nous leur avions parlé en termes “d’émergence”.
Les conclusions des Sons Fédérés
Notre délégation a rappelé que nous étions déjà bien installé·es plutôt qu’émergent·es et a procédé à cinq annonces :
- notre volonté que les autrices et auteurs disposent de 75% des sièges des commissions d’attribution du fonds
- notre détermination à rencontrer Aurore Bergé pour exprimer notre inquiétude devant la loi de réforme de l’audiovisuel public
- notre intention de publier un communiqué sur la base de cette rencontre
- notre constitution prochaine sous une forme juridique de type mouvement ou syndicat
- notre attention portée à la lecture de leur futur rapport.