Radio France est-elle toujours un diffuseur de service public ?
2020 aura été une sombre année pour la radio comme pour d'autres secteurs. Alors qu'elle s'enorgueillit d'être la première entreprise radiophonique en France en audience, la radio de service public met bien souvent cette position de force au profit des médias et plateformes dominantes, pour laisser dans une précarité sans précédent les artisan·es du son : auteurs/trices, technicien·nes, radios locales et autres associations. Au lieu de se saisir de la crise sanitaire pour leur venir en soutien en imaginant avec elles et eux des formes inventives de partenariat, Radio France fait la plupart du temps le choix d'alliances avec le secteur privé et les acteurs de la grande distribution de l'audio qui amplifient les inégalités et l'industrialisation du paysage sonore. Alors que Radio France se doit de remplir des missions de service public et que ses revenus proviennent essentiellement de la taxe sur l'audiovisuel payée par les citoyen·nes, elle accélère sa mutation vers un modèle de diffusion qui tient de moins en moins de l'intérêt général et de plus en plus des GAFAM.
Radio France est plus prompte à défendre les intérêts du privé que ceux du public.
Au mois de juillet 2020 a ainsi été annoncée la création d'une société commune entre les groupes Radio France, M6, Lagardère et Les Indés, afin de diffuser leurs contenus sur une seule et même plateforme numérique à partir de janvier 2021. Nulle trace des stations locales à but non lucratif dans ce partenariat visant à accroître les audiences des radios qui se partagent déjà la part majoritaire du gâteau. Cet automne, Radio France a également signé des accords avec Deezer et Spotify pour la distribution de ses contenus sonores en podcasts. Deux sociétés dont le modèle économique se construit aux dépens des autrices et des auteurs, rémunéré·es a minima pour des œuvres et fonds sonores qui font vivre toute la chaîne de production sauf elles et eux-mêmes. Deux sociétés qui fonctionnent comme des Amazon du son, ubérisant les artisanes et artisans de la production radiophonique et sonore en les maintenant dans la pénurie financière et en les poussant vers des formats narratifs indigents. Deux sociétés, aussi, qui travaillent à retenir les auditrices et auditeurs au sein de leur "écosystème", les contraignant à créer des comptes pour orienter leur écoute, la surveiller, la réduire en données qui seront revendues.
Le recul des activités de services publics de l’État est très concrètement à l’œuvre à Radio France.
Quand Radio France imagine l'avenir du secteur en organisant la manifestation Médias en Seine en ce mois de novembre 2020, cela passe par un partenariat avec Les Échos, par l'invitation de représentants d'autres audiovisuels publics francophones et de médias privés commerciaux — studios de podcasts industriels y compris —, par un prix d'innovation réservé aux start-ups… en oubliant encore et toujours les autrices et auteurs qui œuvrent chaque jour dans le monde associatif. Ce dernier exerce pourtant une mission de service public au niveau local partout en France, avec un dynamisme d'autant plus méritant que ses moyens et conditions de travail se montrent souvent modestes. Ses acteurs et actrices ne sont pas plus invité·es à s'exprimer, par exemple, dans l'émission L'Instant M de France Inter qui reçoit pourtant couramment youtubeur·ses et entrepreneurs/euses du son. Tutelle de Radio France et unique actionnaire, l'État est tout autant coupable de ce mépris. Pendant que le ministère de l'Économie enjoint les lecteurs et lectrices à préférer les librairies indépendantes à Amazon, le ministère de la Culture laisse la radio publique pactiser avec les GAFAM du son et oublier en toute tranquillité les radios associatives et leurs artisan·es. Ce sont pourtant elles et eux qui, quotidiennement, animent des ateliers radio, forment la première ligne en matière d'éducation aux médias, font le lien avec les quartiers populaires, donnent à entendre mille voix minoritaires, expérimentent, créent — bref, qui inventent la radio de demain.
Le service public radiophonique local et national est un bien commun à soutenir et à partager.
En 2020 toujours, Radio France a mis fin à l'activité de sa banque de programmes Sophia. Depuis 1996, ce service proposait, à des tarifs adaptés, des flashs d'information ou des chroniques à destination de dizaines de radios associatives. Il y aurait beaucoup à dire sur son évolution commerciale et sur son mode de distribution, de haut en bas, mais il avait le mérite de permettre à des stations locales à but non lucratif, qui ne disposent pas des moyens humains, financiers ou techniques pour produire quotidiennement de telles émissions, de bénéficier de savoir-faire émanant de FIP ou de France Culture. Dans ce sombre tableau, une mince lueur apparaît néanmoins. En raison de la crise sanitaire et en soutien aux radios associatives abonnées à ce service, Radio France vient de décider de mettre gratuitement à leur disposition les titres de France Info jusqu'au mois de juin 2021. Visons plus haut : au lieu de servir de couronne à l'enterrement de Sophia, cette prolongation de 8 mois, réduite aux seuls flashs de la chaîne tout info, pourrait permettre de poser les fondations d'une nouvelle plateforme de programmes éclectiques, à vocation mutualiste.
Pour les Sons fédérés, la période actuelle offre en effet l'occasion de repenser, de manière bien plus ambitieuse, ce que serait un véritable service public radiophonique. Un service public qui adopte un modèle à but non lucratif, dans le respect des artisanes et des artisans comme des auditeurs et des auditrices. Un service public qui place au cœur de son fonctionnement la mise en commun des outils de production, de diffusion et de réception. Un service public qui marque sa solidarité avec les actrices et acteurs moins puissants et qui agit, comme elles et eux, dans l'intérêt général. Un service public capable d'imaginer et de porter une nouvelle banque de programmes, basée sur la coopération, alimentée non seulement par Radio France pour diffusion sur des radios associatives, mais aussi par les radios associatives pour diffusion sur les antennes de Radio France. Nous voulons que le service public radiophonique devienne un bien commun, accessible, équitable, alimenté par tou·tes et profitable à tou·tes.