Fonds d’aide à la création et à l’innovation sonores
Ce sur quoi nous serons vigilant·es et ce que nous proposons
Une délégation des Sons Fédérés a été reçue le 3 mars 2020 au ministère de la Culture par Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard dans le cadre de leur mission pour le développement d’un “fonds d’aide à la création et à l’innovation sonores” (lire le compte-rendu et le communiqué de presse). Suite à cette audition et aux échanges que son compte-rendu ont suscité au sein de notre assemblée, nous avons défini plusieurs points à suivre avec attention et formulé de nouvelles propositions. Avant que la pandémie de Covid-19 ne nous confine à domicile, nous avions prévu de les livrer à titre de contribution à la réflexion en cours. Aujourd’hui, le gel de toutes les activités culturelles et artistiques nous laisse du jour au lendemain sans aucun revenu (lire notre appel à l’institution d’un revenu universel sans condition). Le Coronavirus agit dès maintenant comme un révélateur des fragilités et des inégalités de nos sociétés. Il doit désormais devenir le déclencheur de nouvelles solidarités en actes, la première étape d’une refondation économique et sociale.
Favoriser la biodiversité sonore
Nous souhaitons que l’intégralité du fonds soutienne des expressions sonores vivantes, protéiformes, non standardisées, émanant de multiples pratiques et de structures variées. Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard parlent d’un fonds pour la radio et le podcast natif. Rappelons que le “podcast” n’est qu’un support de diffusion proposant, à l’écoute, une œuvre ou un contenu sonore ou radiophonique. Quid des multiples autres modes de diffusion d’expressions sonores ? Comme nous l’avons montré au fil de notre déroulé, c’est tout un écosystème qu’il s’agit de nourrir, pas simplement quelques uns de ses formats ou supports.
Alimenter le riche tissu existant
Les termes “émergence” et “disruptif” ayant été employés, nous affirmons la nécessité non seulement d’aider à l’éclosion de nouvelles formes de création, de nouvelles autrices·teurs, de nouvelles structures, mais d’alimenter le tissu existant qui représente une richesse considérable pour la création en France. Nous restons plus largement sceptiques sur cette catégorie de “l’émergence” : qu’est-ce qu’un·e auteur·trice émergent·e ? Cela relève-t-il de son statut économique, de sa célébrité, de ses diffusions sur des antennes nationales, du nombre d’écoutes de son “podcast” ? Le fonds doit se montrer réellement accessible à toute personne ou structure qui en ferait la demande, sur la seule base du projet déposé.
Œuvrer pour une politique publique de l’écoute
Nous serons vigilant·es à ce qu’une large politique de l’écoute émerge et non un soutien direct ou masqué au podcast industriel, qui ne cherche à innover ni socialement ni sur le plan sonore. L’argent public ne saurait alimenter un secteur expressément hermétique à l’histoire des écritures sonores, des plus ardues artistiquement et culturellement aux plus simples et populaires, et qui de ce fait impose des écritures d’une très grande pauvreté (la voix parlée sans adresse, des voix d’une seule catégorie sociale, des banques de sons et de musiques). Le fonds ne doit en aucun cas servir à financer indirectement une externalisation de la création des radios de service public. Au sein de ces dernières, le podcast dit “natif” ou “first” semble pour le moment s’orienter vers des modes et des moyens de productions très réduits, qui enferment l’écriture et l’alignent sur les modes d’écriture du podcast industriel. Nous souhaitons une autre ambition au sein des antennes publiques, qui doivent contribuer à refonder une politique publique de la création et de l’écoute.
Distribuer équitablement, sans attendre un ruissellement illusoire
Derrière le mot “ruissellement”, qui a également été prononcé, est sous-entendu le fait que l’argent des marques “ruisselleraient” vers les studios privés de podcast industriel, qui bénéficieraient aussi de l’aide du fond. Selon nous, par exemple, un contenu sonore élaboré féministe, produit pour une exploitation podcast, ou non d’ailleurs, ne sera jamais le même selon qu’il est libre ou s’il est soutenu par une marque de luxe. Nous préférons un impôt juste en matière de politique culturelle plutôt qu’une théorie qui sert de fable depuis les années Thatcher et qui n’a fait qu’instituer structurellement les inégalités sociales et économiques depuis des décennies. Tous les diffuseurs de ‘’podcasts’’, devraient aussi s’acquitter d’un pourcentage de leur chiffre d’affaires pour une juste et équitable répartition auprès de leurs auteurs et autrices.
Envisager la création et la transmission dans leurs spécificités
L’intérêt de Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard pour l’éducation au sonore est encourageant. Cependant, nous ne sommes pas uniquement des médiatrices•teurs et nos actions de médiation méritent pour beaucoup d’être prolongées en productions éditoriales et pensées comme des œuvres d’une forme spécifique. La création doit être financée en tant que telle, et la médiation en tant que telle. Autrement, la médiation ne sera là que pour jouer le rôle d’un métier rémunérateur parmi d’autres, réalisé au détriment du temps passé sur la recherche et la création.
Sortir du culte du chiffre pour écouter
À plusieurs reprises, la mesure de l’audience a été brandie par Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard comme marqueur du succès d’une œuvre. Nous avons d’abord rappelé qu’en matière d’audience, les téléchargements des “podcasts” produits par les services publics demeuraient supérieurs à ceux du podcast industriel et qu’ils s’adressaient à toutes et tous. Plus fondamentalement, il nous paraît crucial de sortir de cette gestion comptable de l’écoute et d’ouvrir la place à une politique ambitieuse d’expérimentation et de formats libres, sans lesquelles la création s’assèche.
Accompagner la création et non la formater
Concernant l’hypothèse qu’un·e auteur·trice doive être associé·e à “un studio” pour accéder à un soutien via ce fonds, nous tenons à affirmer la nécessité impérative de préserver l’indépendance des auteur·trices. Le cas échéant, que cette structure puisse être non seulement un studio, mais une radio, une compagnie ou une association, possiblement créée par l’auteur·trice. Que cette structure soit engagée dans le sonore mais pas nécessairement dans la diffusion. Que le lien entre l’auteur·trice et la structure se bâtisse autour de l’accompagnement à l’écriture, l’attention au style propre de l’auteur·trice, des conseils pour situer la création en cours dans une longue histoire, un lent apprentissage artisanal, et non d’une adaptation aux formats et modes de production industriels. Que les outils et moyens de productions soient au service de l’œuvre et non l’inverse, et qu’elle favorise la recherche et l’expérimentation, notamment à travers les temps longs et les espaces partagés qu’offre le travail en résidence.
Bâtir une équité en actes
Nous veillerons à ce que ce fonds soit redistribué équitablement entre les femmes et les hommes. Pour éviter qu’il devienne un outil de plus de discrimination des genres, nous exigerons que les femmes soient bénéficiaires à minima à 50% de ce fonds et qu’elles représentent au moins la moitié des commissions de sélection.
Travailler à une véritable reconnaissance du droit d’auteur·trice, et non à la perpétuation du droit d’éditeur
Il nous semble important de préciser, pour finir, que les artistes, créateurs et créatrices de sons, pas plus qu’aucune autre catégorie professionnelle, n’ont vocation à demeurer précaires. Que cet état de fait s’inscrit dans une longue histoire de déni de leurs droits et de leur statut dans la société, dans ce domaine comme dans celui de la littérature, de la BD ou d’autres formes d’expression artistique. Les autrices·teurs artisan·es d’expressions sonores et radiophoniques élaborées demeurent les principales et principaux contributrices et contributeurs économiques de leurs créations. L’économie du secteur, dans les pratiques des anciens comme des nouveaux éditeurs et diffuseurs, repose pour une part trop importante sur des apports et investissements en nature et en bénévolat des auteurs·trices. Plutôt que d’entériner une logique d’exploitation de leur attachement au bel ouvrage et au service public, il s’agit de prendre enfin en compte la valeur économique et sociale de leur travail au sein d’une fructueuse chaîne de productions culturelles et artistiques.